Un dessin de Teodoro Ardemans acquis par le Musée du Prado

Alexandre Lafore | latribunedelart.com

Acquisition – Madrid, Museo nacional del Prado – Largement admiré en juillet dernier au Palais Brongniart à l’occasion du Salon du Dessin, ce grand dessin de Teodoro Ardemans trônait au centre du stand de la galerie Artur Ramon, où il se murmurait qu’il allait prochainement rejoindre un grand musée européen. C’est désormais chose faite puisqu’un d’Ars Magazine nous a récemment appris son acquisition par le Musée du Prado ! On connaît même le prix payé pour cette feuille spectaculaire et inédite : 35 000 €. On devine d’emblée qu’il s’agit de la partie gauche d’un projet d’architecture éphémère, qui fait d’abord penser à quelque décor de théâtre mais dont l’iconographie révèle bien vite la nature : nous sommes en présence d’une sorte de retable édifié pour les cérémonies de la Semaine sainte. Piliers, arcs et colonnes sont ornés avec profusion de cartouches, de guirlandes et de festons mais la structure du décor reste cependant lisible. Cette élévation est dominée par deux anges dans les nuées, portant la croix du Christ, tandis que deux angelots brandissent d’autres instruments de la Passion en contrebas. En partie basse, la balustrade s’interrompt devant une niche où le soldat en faction vient de s’endormir : le corps du Christ, du moins sa partie gauche, y repose tandis que la perspective laisse deviner le Golgotha et la ville de Jérusalem. Au centre de cette composition, l’essentiel du dispositif scénographique s’organise autour d’une gloire d’où part une multitude de rayons dorés qui dominent plusieurs grandes figures allégoriques féminines semblant s’appuyer sur des boucliers.

Comme l’explique Ángel Rodríguez Rebollo dans la riche notice de la galerie Artur Ramon, dans laquelle nous avons puisé l’essentiel des informations de cette brève, la technique employée ainsi que la profusion décorative laissent penser que ce décor fut imaginé à la cour de Madrid à la fin du XVIIe siècle ou au début du XVIIIe siècle. On songe en effet à Francisco Rizzi (1614-1685) ou Claudio Coello (1642-1693) : le premier réalisa un dessin particulièrement évocateur pour le monument de la Semaine sainte de la cathédrale de Tolède tandis que le second fut chargé de la chapelle Saint-Ignace du Collège impérial de Madrid et réalisa un dessin préparatoire dont le schéma de la voûte est particulièrement comparable. Francisco Rizzi fut d’ailleurs le maître de Claudio Coello auprès de qui étudia le jeune Teodoro Ardemans, à qui il fut donc possible d’attribuer solidement ce projet de décor éphémère. Peintre, architecte et auteur de traités académiques, celui-ci devint grand maître de la cathédrale de Grenade en 1689 puis de la cathédrale de Tolède en 1691 mais continua sa carrière à Madrid, où l’arrivée du roi Philippe V lui permit d’accéder au titre de peintre de cour. La Bibliothèque nationale d’Espagne conserve d’ailleurs une grande feuille qui prépare une architecture éphémère, cette fois civile, destinée à célébrer l’arrivée de France du nouveau souverain : outre une technique comparable, on y retrouve le même trait « en zig-zag » et des figures allégoriques féminines tenant de volumineux boucliers assez proches.

Le Musée du Prado conservait déjà deux grands dessins de Teodoro Artemans : le premier d’entre eux, datable de la fin du XVIIe siècle, fut d’ailleurs longtemps attribué à Francisco Rizzi et prépare lui aussi un décor éphémère pour la Semaine sainte, comme on le devine en observant les angelots portant les instruments de la Passion. Le second est mieux identifié car il se rattache aux cérémonies funéraires honorant la mémoire du roi Charles II, dernier souverain espagnol issu de la maison de Habsbourg, mort en novembre 1700. Le thème est différent mais la technique similaire, on y retrouve ainsi les mêmes traits de plume que dans le dessin qui vient d’être acquis, ce qui incite à dater ce dernier des environs de 1700. Impossible de ne pas songer à l’un des plus impressionnants dispositifs baroques de cette époque : la chaire de saint Pierre Pierre, conservée dans l’abside de la basilique vaticane et enchâssée depuis le milieu du XVIIe siècle dans une gloire de bronze commandée à Gian Lorenzo Bernini. Cette fastueuse réalisation, largement admirée, était déjà célèbre dans toute l’Europe, notamment grâce à l’estampe qu’en tira François Spierre : un autre dessin de Teodoro Artemans, conservé au British Museum de Londres, avait déjà été rapproché de cette gravure abondamment diffusée. La notice d’Ángel Rodríguez Rebollo s’achevait par une interprétation bourbonienne des rayons solaires qui se diffusent de la gloire dessinée par Ardemans : peut-être s’agissait-il déjà d’une commande d’un membre de l’entourage du nouveau roi, qui n’était autre que le petit fils du Roi-Soleil.