Le Salon du dessin chez vous : une étude de Rodin pour la Porte de l’Enfer

Auguste Rodin, Guidon (détail), vers 1880, graphite sur papier vélin, collé sur papier réglé, 15 x 11 cm (support 16 x 13 cm) Signé à la plume et encre brune « A. Rodin ». Proposé à la vente par la galerie Artur Ramon Art. 

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Le Salon du Dessin, grand rendez-vous des amateurs d’arts graphiques, ne pourra avoir lieu cette année. Mais, en attendant l’édition 2021, le marché du dessin poursuit son cours malgré la crise. La galerie Artur Ramon Art met en vente sur son site un crayon sur papier vélin d’Auguste Rodin, intitulé Guidon, du nom du héros y figurant.

D’Auguste Rodin, on connaît l’œuvre sculptée que présente magistralement le musée Rodin à Paris. Hormis Le Penseur et Les Bourgeois de Calais, on ne peut s’empêcher d’admirer, lorsque l’on visite les jardins du musée, l’incroyable Porte de l’Enfer, conçue à partir de la commande que reçut Rodin en 1879 par le secrétaire d’État aux Beaux-Arts, Edmond Turquet, pour la porte d’entrée du futur musée des Arts décoratifs, prévu à l’emplacement actuel du musée d’Orsay.

La Porte de l’Enfer : un répertoire de formes

Inspiré par la Porte du Paradis du sculpteur de la Renaissance Lorenzo Ghiberti au baptistère de Florence, Rodin imagine deux grands vantaux surmontés d’un linteau et entourés d’un chambranle. D’abord en plâtre, puis en bronze. Partout s’anime un monde de personnages de tailles différentes. Plus de deux cents figures et groupes s’entremêlent. Ce projet deviendra un véritable répertoire de formes pour Rodin qui reprendra ces créations pour d’autres sculptures, collant, assemblant, réutilisant certains éléments au gré de son imagination et durant tout le reste de sa carrière. Elles illustrent des scènes de la Divine Comédie, ce poème composé au tout début du XIVe siècle par Dante. Figurent, par exemple, au sommet de la Porte de l’Enfer de Rodin, à près de six mètres de haut, les Trois Ombres, qui devinrent ensuite une sculpture à part entière. Le BaiserLe Penseur et Ugolin et ses enfants proviennent de ce même fonds inventé dès 1880. Le projet de la Porte de l’Enfer prit malheureusement du retard et fut abandonné en 1889.

La Porte de l'Enfer de Rodin dans le Jardin du Musée Rodin à Paris. Wikimedia Commons/Douglas O'Brien

La Porte de l’Enfer de Rodin dans le Jardin du Musée Rodin à Paris. Wikimedia Commons/Douglas O’Brien

L’ombre du condottiere

La graphite sur papier vélin, que présente la galerie Artur Ramon Art de Barcelone, appartient à ces nombreux dessins préparatoires de Rodin pour l’un des personnages figurant sur la Porte de l’Enfer. Son titre, Guidon, nous met sur la piste mais il faut quelques informations complémentaires pour comprendre qui sont ces deux hommes musclés. Christina Buley-Uribe, experte de l’œuvre graphique de Rodin, l’explique : « Ce dessin fait partie des dessins d’écorchés datables de la fin des années 1870-début des années 1880, que Rodin utilisa pour en faire des Ombres, les âmes des personnages de l’Enfer de Dante. Le titre Guidon renvoie à l’histoire du comte Guido de Montefeltre dans la Divine Comédie, qui a intéressé Rodin au moment de la conception de la première version de sa Porte de l’Enfer. À la mort de Guido, ancien condottiere repenti devenu moine franciscain, saint François voulut conduire son âme au Paradis, mais il en fut empêché par l’ange déchu : sa repentance n’avait pas été sincère et le condottiere fut conduit en Enfer ».

Auguste Rodin, Guidon, vers 1880, graphite sur papier vélin, collé sur papier réglé, 15 x 11 cm (support 16 x 13 cm) Signé à la plume et encre brune « A. Rodin ». Proposé à la vente par la galerie Artur Ramon Art. Estimation 40 000€.

Auguste Rodin, Guidon (détail), vers 1880, graphite sur papier vélin, collé sur papier réglé, 15 x 11 cm (support 16 x 13 cm) Signé à la plume et encre brune « A. Rodin ».

 

Corps tourmentés

Il est intéressant de noter comment Rodin occupe l’espace de la feuille, calant l’emprise des personnages par l’écartement de leurs pieds, comme une sculpture du type Homme qui marche. On voit son attention à souligner la structure des corps, avec les muscles saillants, les articulations bien dessinées (aussi bien aux genoux qu’aux épaules). Les deux visages semblent se confondre en haut du dessin et la main du porteur confond sa propre tête avec celle de Guidon qu’il soutient. Les deux corps ne font plus qu’un, jusqu’à la fusion.

Un dessin issu d’un des carnets à papier de l’artiste

Il existe une dizaine de dessins sur ce thème dont l’Ombre du comte Guidon, que conserve le musée Rodin. Comme ce dessin à vendre sur le site de la galerie Artur Ramon Art, il a été collé par Rodin dans un carnet à papier réglé aux lignes rouges, sorte de cahier d’écolier, typique de ces années. Le carnet a sans doute été désassemblé postérieurement, comme tous les « albums » de Rodin. Même si les deux personnages représentés ici sont nus, il pourrait s’agir de saint François ou de l’ange déchu soutenant Guidon, comme il est précisé dans d’autres dessins de la série. Quelques années plus tard, peut-être à l’époque de ses illustrations des Fleurs du Mal, Rodin décalqua ce dessin pour le transformer en personnages désespérés tirés du roman de l’auteur écossais Walter Scott, The Bride of Lammermoor (La Fiancée de Lamermoor). La galerie assure que ce dessin sera inclus dans le catalogue raisonné des dessins de Rodin.